INTERVIEW. Le député LR Philippe Juvin, chef des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou, maintient sa ferme opposition à la proposition de loi.
Dans l’hémicycle , il a mené le combat sur tous les fronts : les critères d’éligibilité à l’aide à mourir, la collégialité de la décision médicale, le délit d’entrave.
Député LR des Hauts-de-Seine et chef du service des urgences à l’hôpital Georges-Pompidou, Philippe Juvin continue de juger la proposition de loi trop peu restrictive, et trop peu protectrice des plus vulnérables . Il s’en explique.
Le Point : Que retenez-vous du débat qui a été mené à l’Assemblée ?
Philippe Juvin : Il a permis de dire des choses… mais il n’a pas fait progresser le texte, sauf sur deux ou trois points mineurs. Je continue à soutenir que cette loi ne porte pas sur la fin de vie, et que les critères ne sont pas stricts. Il aurait fallu pour cela une véritable collégialité : que la décision soit prise à plusieurs, que le patient soit systématiquement reçu par un psychiatre – dans le texte actuel, on peut n’avoir été vu que par un seul médecin.
Des critères stricts, ç’aurait été probablement aussi le traitement différencié d’un certain nombre de cas : je pense aux personnes sous tutelle, aux malades psychiatriques. Ç’aurait été, enfin, un délai de réflexion minimal qui excède les 48 heures. Dans l’Oregon, la loi prévoit 90 jours !
Le délai de 48 heures n’a-t-il pas été pensé pour des cas de toute fin de vie ?
Il existe alors la loi Claeys-Leonetti !
C’est l’un des points clés du débat : pourquoi vouloir le même champ d’application à la nouvelle loi, si l’on admet que Claeys-Leonetti n’est pas suffisante ?
Mais je ne l’admets pas, justement ! Premièrement, j’affirme que la demande d’euthanasie disparaît quasiment toujours lorsque les soignants apportent des réponses. Deuxièmement, je rappelle que l’accompagnement ne se limite pas aux soins palliatifs, loin de là. Il faut parfois plusieurs mois, en France, pour accéder à une consultation de traitement de la douleur.
Quand vous êtes grabataire et que vous ne pouvez pas quitter votre lit, que vous êtes dans votre urine, votre sueur et vos selles, vous n’avez pas la même vie selon qu’une infirmière passe vous voir plusieurs fois par jour ou que vous devez l’attendre toute la journée. Ce ne sont pas des soins palliatifs, cela ! De même que nous pratiquons tous les jours, dans nos hôpitaux, des formes de sédation qui ne sont pas celles, profondes et continues jusqu’au décès, de la loi Leonetti. Celle-ci n’est qu’un élément d’un environnement général, dont cette proposition de loi fait fi.
« Cette loi est faite pour partie par des gens bien portants qui ont la terreur de leur déchéance physique et de leur perte d’autonomie, et pour une autre partie par des personnes qui, philosophiquement, exigent une totale liberté. »
Elle l’inclut pour partie dans le volet consacré aux soins palliatifs.
Mais cette seconde loi est une loi d’affichage : qui peut croire un instant qu’un engagement de financement sur les dix prochaines années aura une quelconque réalité ?
Existait-il une version de cette aide à mourir que vous auriez pu voter ?
Je l’ai dit, et je le redirai avant le vote : j’aurais accepté de voter une exception d’euthanasie pour des patients en toute fin de vie. Mais l’ambiguïté du débat vient de ce qu’on nous parle d’ultime recours, tout en présentant un texte qui pourra s’appliquer possiblement à des patients qui ont encore des années à vivre. De même qu’il est faux de dire qu’il ne s’applique qu’à des cas de douleur réfractaire : la proposition de loi parle d’une souffrance « qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsqu’elle a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter un traitement ».
La nuance est essentielle ! On est libre, évidemment, de soutenir ce texte. Mais il faut savoir précisément ce que l’on vote. Cette loi est faite pour partie par des gens bien portants qui ont la terreur de leur déchéance physique et de leur perte d’autonomie, et pour une autre partie par des personnes qui, philosophiquement, exigent une totale liberté. Moi, je pense que la liberté totale n’existe pas, ou plutôt qu’elle ne s’exerce pas de la même façon lorsqu’on est isolé, démuni, dépressif ou autiste.
C’est la grande théorie marxiste des libertés formelles : qu’est-ce qu’une liberté, si les conditions sociales font que vous ne pouvez pas l’exercer ? Je comprends bien sûr que l’on me rétorque qu’une personne autiste souffrant d’un cancer de l’œsophage extrêmement douloureux doit, elle aussi, pouvoir bénéficier de l’aide à mourir. Mais je maintiens qu’il y a des catégories de patients dont l’autonomie n’est jamais totale, et je préfère à l’autonomie la protection des plus vulnérables. Dans l’Oregon, 30 % des personnes qui recourent au suicide assisté souffrent de handicap. Pourquoi cette surreprésentation ?
Pourquoi, selon vous ?
Soit parce que l’accès aux soins est insuffisant, soit parce qu’il existe une forme de pression sociale en ce sens. Je pense à cette personne, très lourdement handicapée, qui m’avait dit que sa vie de tous les jours était un combat, et que la création de cette loi l’encourageait à baisser les armes : je trouve qu’il y a une grande violence dans le message qu’on passe ici. Il faudrait aider ces personnes à vivre mieux, pas à mourir.
Et je suis frappé qu’une certaine gauche n’ait pas repris cette thématique de la société de fraternité. Je ne parle même pas des autres formes de pression. Des abus de faiblesse, par exemple : les héritages sont parfois longs à arriver… J’aurais voulu qu’un juge examine le dossier a priori, pour dire si oui ou non les droits du malade et son consentement libre et éclairé ont été respectés.
« Je pense que nous, soignants, savons apporter des réponses pour peu qu’on nous en donne les moyens et que nous ne sommes pas, loin de là, au mieux de ce que nous offrons aux patients. »
Quelle était votre position sur le délit d’entrave prévu par le texte ?
Je n’étais pas contre, à la différence de certains de mes collègues, parce qu’il me semble normal, dès lors qu’on ouvre un droit, que le Code pénal réprime l’atteinte à ce droit. Je souhaitais en revanche que soient exclus du délit d’entrave les proches du patient, ainsi que ceux dont le métier est de l’aider à ne pas se suicider : les psychiatres, évidemment, les associations de prévention du suicide, les ministres des cultes dans les hôpitaux. J’ai par ailleurs proposé un amendement qui ajoutait au délit d’entrave un délit d’incitation au suicide assisté.
On vous a reproché, au cours des débats, d’essayer de rendre la loi inopérante.
J’ai essayé d’apporter des garanties supplémentaires. Je pense, et je continuerai à le dire, qu’il ne faut pas inclure des patients qui ont plusieurs années à vivre. Je pense que nous, soignants, savons apporter des réponses pour peu qu’on nous en donne les moyens et que nous ne sommes pas, loin de là, au mieux de ce que nous offrons aux patients.
Nous ne vivons pas, encore une fois, dans un monde parfait où tout le monde peut être soigné et où les familles sont exclusivement aimantes. Et puis, il y a un autre problème, philosophique celui-là : dès lors qu’on ouvre des exceptions au principe absolu de l’interdiction de tuer, d’autres exceptions ne seront-elles pas justifiées demain ? La loi est nécessairement générale, il y aura toujours des situations dont on pourra regretter qu’elles ne soient pas couvertes par le texte : le risque est de l’étendre petit à petit, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de limites.