Mon entretien pour La Tribune Dimanche – 11 octobre

Elu rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale début octobre, Philippe Juvin se retrouve en première ligne pour tenter de faire adopter une loi de finances avant le 31 décembre. Alors que le texte sera déposé ce lundi au Parlement, le député du groupe Droite Républicaine a accordé un entretien à La Tribune Dimanche.

Sébastien Lecornu a été renommé Premier ministre vendredi soir par Emmanuel Macron, est-ce une bonne nouvelle avant l’ouverture des discussions budgétaires ?

La bonne nouvelle, c’est qu’un Premier ministre a été nommé, ce qui lui permet de déposer un budget.

Le Premier ministre avait annoncé qu’il renoncerait au 49-3 pour faire adopter le budget. Doit-il revenir sur cette promesse pour se laisser carte blanche ?

Je pense que c’est une erreur d’écarter d’emblée la possibilité d’utiliser l’article 49-3. C’est se priver d’un outil constitutionnel qui a permis de faire adopter des budgets ces dernières années. 

Quelle va être la « méthode Juvin » pour tenter d’arracher un compromis sur la loi de finances ? 

Durant toute la semaine, j’ai rencontré un à un les chefs de file des différents groupes politiques à la commission des finances. Je voulais connaître leurs priorités et comprendre quelles mesures pourraient faire l’objet de consensus. Il est crucial pour la France d’aboutir à un compromis général sur le budget. 

La copie qui sera présentée demain au Parlement prévoit un objectif de 4,7 % de déficit fin 2026. Faut-il assouplir la trajectoire budgétaire pour tenter de concilier la droite et la gauche ?

La copie qui sera présentée demain au Parlement prévoit un objectif de 4,7 % de déficit fin 2026. Faut-il assouplir la trajectoire budgétaire pour tenter de concilier la droite et la gauche ?

Je n’y suis pas favorable. Au départ, l’ancien Premier ministre François Bayrou avait fixé un objectif de 4,6 % de déficit fin 2026, puis Sébastien Lecornu a relevé la cible à 4,7 %. Cette semaine, il a même évoqué l’idée d’un déficit visé entre 4,7 % et 5 % l’année prochaine. Ces variations peuvent paraître insignifiantes, mais 0,1 point de PIB ce n’est pas neutre ! C’est une enveloppe de 3 milliards d’euros. 

Est-ce aussi une question de crédibilité de la parole de la France en Europe ?

Oui. Nous sommes bien trop nonchalants sur le problème de la dette qui affiche aujourd’hui 3 500 milliards d’euros. Vendredi, le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a rappelé que la charge de la dette représente déjà 70 milliards d’euros par an. Elle pourrait atteindre 107 milliards d’euros à l’horizon 2030. L’objectif d’un retour à moins de 3 % de déficit en 2029 doit être absolument tenu.

Le budget pour 2026 devra-t-il privilégier une baisse des dépenses ou une hausse des impôts ?

Clairement, nos marges de manœuvre sont sur les dépenses. Inutile de rappeler que nous avons un taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés du monde. L’exemple de l’ancien Premier ministre canadien, Jean Chrétien, qui a réussi à rétablir les finances publiques de son pays dans les années 1990 m’inspire beaucoup. Et comment a-t-il fait ? En effectuant une revue générale des dépenses de l’Etat. Mais je sais que nous ne pourrons pas avoir une telle ambition cet automne.

Soutiendrez-vous la mise en place d’une année blanche sur les retraites et les prestations sociales ?

L’année blanche est une mesure d’urgence pour freiner la dépense publique. C’est une des solutions à mettre en place, mais c’est un fusil à un coup. Il est illusoire de penser qu’une telle mesure pourrait être acceptée chaque année par les Français.

A l’inverse, pensez-vous qu’il faille suspendre la réforme des retraites. Cette concession à la gauche doit-elle être faite pour apaiser les tensions ?A l’inverse, pensez-vous qu’il faille suspendre la réforme des retraites. Cette concession à la gauche doit-elle être faite pour apaiser les tensions ?

Je ne le crois pas. Comment la parole de la France pourrait-elle rester crédible vis-à-vis des marchés et de nos partenaires européens si on suspendait l’une des seules vraies réformes structurantes de ces dernières années. Ce serait une grave erreur de prendre une telle décision. 

Pourtant, au sein des Républicains, certains élus semblent prêts à lâcher sur les retraites…Les positions sur les retraites varient à l’intérieur de tous les groupes politiques, et pas seulement des Républicains. Je vous ai fait part de ma position et il y aura un débat à l’Assemblée.

Le gouvernement va présenter une mesure de baisse des dépenses de l’Etat à hauteur de 6 milliards d’euros, qu’en pensez-vous ?

Je dis d’accord, bravo, mais c’est insuffisant ! Dans le budget, l’exécutif entend supprimer 2 000 postes de fonctionnaires. J’ai dit à l’ancien ministre de l’Economie, Eric Lombard, et à l’ancienne ministre du budget, Amélie de Montchalin, que c’était ridiculement faible. Rien que pour l’Education nationale, compte tenu de la baisse de la natalité, je pense qu’il est possible de supprimer 50 000 postes d’ici 2032.

Vous qui êtes professeur de médecine, vous soutenez une réforme de l’Aide médicale d’Etat (AME) dont le coût est évalué à 1,2 milliard d’euros. Pourquoi ?

Il faut, bien sûr, soigner les gens. Ce n’est pas la question. En revanche, le panier de soins doit être réduit et mis au niveau des standards des autres pays européens. Et il n’est pas normal que les bénéficiaires de l’AME ne paient pas de franchise médicale, notamment sur les médicaments. 

Nous avons parlé des dépenses, mais qu’en est-il des recettes ? Êtes-vous prêt à faire des gestes envers la gauche sur la fiscalité ?

Avant toute chose, je veux rappeler que nous sommes champions du monde des impôts et des taxes. Nos marges de manœuvre sont plutôt sur les dépenses que sur les recettes. 

Par ailleurs, quand vous augmentez une taxe, les recettes peuvent paradoxalement baisser. Attention au mirage fiscal :  quand on a baissé les impôts sur les sociétés, les recettes ont augmenté. 

Attention donc aux augmentations fiscales qui apportent quelques millions ou milliards la première année et qui nous appauvrissent les années suivantes.

Toutefois même si je souhaite privilégier la baisse des dépenses, je suis bien conscient qu’il faudra malheureusement aussi chercher de nouvelles recettes fiscales dans le budget. Il  ne faut pas se raconter d’histoires, compte-tenu de la situation politique particulière, tout le monde a compris que la baisse des dépenses ne suffira pas. 

Depuis trois semaines, le débat s’est focalisé sur la taxation des plus riches avec la taxe Zucman. Quel regard portez-vous sur ce dispositif ?

J’y suis totalement opposé. A choisir, je préfère que l’on taxe les revenus plutôt que les patrimoines et je souhaite préserver au maximum l’outil productif. C’est pourquoi, je suis également opposé à une réforme du Pacte Dutreil qui facilite la transmission d’entreprises. C’est l’une des rares lois intelligentes prises ces 20 dernières années, il ne faut pas la détricoter. Surtout dans une vision fiscale court-termiste.

La gauche souhaite que le budget puisse accoucher d’une mesure de pouvoir d’achat pour les ménages. Y êtes-vous favorable ?

C’est une idée sur laquelle gauche et droite se rejoignent. Il faut que le salaire net augmente en France. Mais comment fait-on ? Les socialistes plaident pour une baisse de la contribution sociale généralisée (CSG), je n’y suis pas hostile. Mais je veux comprendre comment on compensera la perte de recettes. Et l’idée de relever l’impôt sur les successions n’est pas envisageable.

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