Fuir les petites mesures.
Proposer un projet de société.

De toute crise il faut tirer profit. Depuis que le Président de la République a promis que « la société d’après le COVID ne serait plus la même », les recettes ont fleuri. La Gauche a demandé de l’argent pour les services publics. La Droite a exigé moins de bureaucratie et de la simplification. Tous se sont mis d’accord sur la nécessité de relocaliser nos industries. J’ai moi-même demandé plus de moyens et d’autonomie pour l’hôpital. Et Emmanuel Macron a inventé un nouveau comité de citoyens afin de démontrer contre toute évidence « qu’on avait tenu ». La vérité est que tout cela est minuscule. Et n’ira pas loin. Car donner quelques sous à l’hôpital, relocaliser quelques entreprises et fermer l’ENA ne règle rien. Comme nous payons tout à crédit et que nos habitudes sont ce qu’elles sont, il arrivera un moment où on retaxera, rebureaucratisera, recentralisera. Et le déclin continuera.

Autrement dit, toutes ces petites mesures ne font pas un projet de Société. Aucune, bien qu’intéressante en soi, ne permet de changer durablement les choses. Si nous voulons vraiment que la France cesse de tomber, nous devons radicalement changer notre façon de penser la société. Beaucoup pensent que la solution repose toujours sur l’Etat. L’erreur originelle est là : L’Etat n’est pas la solution. En étant le garant de l’autorité, il est certes une condition de la stabilité. Mais la solution à nos maux, c’est la Société et son implication.

Reprenons les leçons de la crise du COVID.

La première observation est évidente : l’Etat est obèse, bureaucratique et centralisé. Et de moins en moins capable d’autorité. Sur le terrain, le désordre règne et les services publics se sont paupérisés. On ferme les commissariats et il faut des années pour obtenir un jugement. Les gares ne sont pas entretenues et les lignes ferment. Selon le classement PISA, plus d’1 élève sur 2 déclare être gêné pour travailler en classe à cause des problèmes de discipline, et les parents d’élèves se refilent sous le manteau les établissements à fuir. A l’hôpital, plus de 100.000 patients dorment sur des brancards faute de lits au moment des épidémies de grippe et 11% des Français vivent dans des déserts médicaux. Les communes se voient retirer les moyens d’agir au bénéfice de machins intercommunaux de plus en plus grands et couteux. Cet effondrement de la qualité du service rendu au public est frappante. Et elle choque d’autant plus qu’on ne cesse de payer plus d’impôts et de taxes qu’ailleurs. Pendant la COVID, l’Allemagne a mieux protégé sa population (106 morts/100.000 habitants) que nous (163 morts/100.000) avec moins de prélèvements obligatoires (41,7% du PIB) que la France (47,4% du PIB). Des impôts élevés ne garantissent plus de meilleurs services publics. Autrement dit, le peuple commence à comprendre qu’il n’en a plus pour son argent.

La seconde observation est que personne de sérieux ne compte sur un renflouage massif de l’Etat pour sauver ces services publics. A la fois parce que personne ne croit que le seul fait de donner plus de moyens à l’Education nationale ou à la police, qui pourtant en manquent, suffira à améliorer l’éducation ou la sécurité. Et parce que chacun a compris que plus d’argent public signifie plus d’impôts et plus d’endettement. Si on voulait atteindre la moyenne européenne, il faudrait doubler le nombre de places de prisons. Avec quels moyens ? La faiblesse des revalorisations individuelles du Grenelle de la santé, pourtant si prometteur, a démontré que l’Etat n’avait plus de marge de manœuvre.

La troisième observation est la plus importante. Les Français sont personnellement prêts à s’engager pour agir sur les choses. Ils l’ont fait massivement durant la COVID en bousculant les circuits habituels pour prendre le pouvoir. Les personnels de santé ont créé des lits de réanimation en trois jours, là où dix ans étaient nécessaires avant la crise. Les maires ont ouvert des vaccinodromes dont l’Etat ne voyait pas l’intérêt. Des starts-up ont imprimé des matériels en 3D pour compenser les pénuries. Un jeune ingénieur s’est substitué au ministère en permettant de s’informer et même désormais de se faire vacciner. Les régions et la grande distribution se sont mobilisées pour acheter les masques que l’Etat ne parvenait pas à acquérir. Des milliers de Français ont adressé à leurs hôpitaux des gants ou des masques, et sont venus renforcer les équipes soignantes. Et toutes ces énergies individuelles se sont organisées grâce aux réseaux sociaux, qui permettaient d’identifier les trous que l’Etat laissait béants.

En un mot, durant l’épidémie, le pays n’a pas tenu grâce à l’Etat.
Il a tenu grâce à la Société, c’est-à-dire grâce aux Français.

C’est de cette dernière observation que nous devons tirer un projet global de Société. En nous appuyant sur cette puissance de l’engagement des individus, nous pouvons transformer la société. En redonnant du pouvoir aux citoyens, nous pouvons stopper le déclin.

Commençons par l’Etat. Il doit tout d’abord assurer ses missions régaliennes et garantir l’autorité. La fin du désordre et le retour de l’autorité sont les préalables absolus à toute réforme. On pense naturellement à la sécurité. Mais l’autorité, c’est aussi et d’abord l’efficacité. L’Etat ne recouvrera sa véritable autorité que lorsqu’il redeviendra efficace. Comment ? Les missions de service public plus efficacement réalisées par d’autres acteurs que l’Etat lui-même devraient être préférentiellement confiées à ces acteurs.

Puis nous ferons de l’information et de la transparence sur la qualité des prestations rendues au public, le levier fondamental de transformation des services publics. La règle est simple : tout organisme chargé d’une mission de service public devra rendre compte au citoyen de façon simple et claire. On sait par exemple que 15% des élèves de 6è ne maîtrisent pas correctement le français et que 27% éprouvent des difficultés en mathématiques. Les écoles publiques et privées rendront donc publique la proportion de leurs élèves qui maitrisent la lecture et le calcul à l’entrée en 6ème. On sait que les fractures du col du fémur ont une mortalité plus importante si on attend plus de 48h pour les opérer. Les hôpitaux et cliniques publieront la proportion de leurs patients opérés après 48h. Les juridictions civiles ont plus de 16 mois de stock de jugements au plan national ? Chaque tribunal publiera son délai pour obtenir un jugement de divorce. Et ainsi de suite avec tous les acteurs chargés d’un service public. L’ouverture de ces données sera une première étape dans la reconquête du pouvoir par les citoyens, en les éclairant, leur permettant de comparer et de choisir. Elle agira aussi comme un aiguillon qui incitera les acteurs à s’améliorer.

Nous donnerons ensuite aux citoyens le pouvoir d’investir eux-mêmes les services locaux rendus au public. Que ce soit à titre individuel ou collectif, par le biais d’une association, d’un simple regroupement de citoyens intéressés, d’une entreprise, d’une commune, d’une ONG ou d’un comité de quartier. Les expériences étrangères pourront nous inspirer. En Grande-Bretagne et en Suède, des enseignants ou des citoyens sont libres de fonder des écoles jouissant de l’autonomie pédagogique, financées par l’Etat et gratuites pour les familles. Résultat, le niveau général a augmenté et le niveau de 84% de ces écoles est considéré comme « bon ou exceptionnel » en Angleterre. Ces free schools ont probablement permis de renforcer l’ascenseur social puisque 48% des établissements ont été ouverts à destination de populations défavorisées, et ont redonné la possibilité aux parents d’élèves de choisir librement l’école de leurs enfants. Dans le domaine de l’insertion, des entreprises ont été rémunérées au résultat pour chaque chômeur de longue durée retourné durablement à l’emploi. Pareil pour les prisonniers à réinsérer. Dans le domaine de la formation, les entreprises doivent être libres d’organiser les formations diplômantes adaptées à leurs besoins, les hôpitaux et les cliniques de choisir leurs équipements sans devoir quémander d’agrément et les commerçants d’ouvrir quand ils souhaitent. Les marchés publics doivent favoriser les PME locales ou les associations au moment des attributions.

Investir collectivement l’action publique locale est une première façon de redonner le pouvoir aux citoyens. Mais d’autres voies, plus individuelles, permettraient aussi aux Français de reprendre en main leur propre destin en court-circuitant l’Etat. Ainsi, plutôt que de devoir passer par un tribunal particulièrement lent, pourquoi ne pas pouvoir s’adresser à son avocat ou à son notaire pour négocier un accord transactionnel dans la totalité du champ du droit civil ? En matière fiscale, pourquoi ne pas donner à chaque contribuable le pouvoir de décider à quelle administration va son impôt sur le revenu ? En matière de politique de la ville et d’ascenseur social, pourquoi ne pas faire des 11 millions de locataires sociaux des propriétaires responsables de leur logement et de leur quartier en leur proposant d’acquérir leur propre logement à un prix équitable, fixé non pas par la valeur du bien, mais par leurs facultés financières ? Chaque fois, nous devrions nous poser la question de l’intérêt de la Société plus que de celle de l’Etat. L’intérêt de la Société est clairement que les citoyens puissent bénéficier d’une justice équitable et rapide, adhérer à l’impôt ou se sentir responsables de la vie de leur immeuble ou de leur quartier.

Durant l’épidémie, on a touché les limites d’un Etat qui, en voulant tout contrôler, ne contrôlait rien. Incapable de commander des masques, il confisquait ceux des régions. Incapable de savoir où était le virus, il fermait indistinctement toute l’activité économique. Ne sachant plus expliquer ses décisions, il imposait, interdisait et sanctionnait. Dans un classement récent, l’Institut Molinari a montré que la France n’avait su protéger ni son économie ni sa population des effets de l’épidémie. D’autres Etats, qui ont fait confiance à leurs concitoyens, s’en sont mieux sortis. En fait, la COVID a mis à jour une perte de contrôle qui était déjà générale. Le déni, l’idéologie, le manque de rigueur intellectuelle, l’absence de confiance et les facilités de toute nature étaient à l’œuvre depuis longtemps et nous aspiraient vers le bas. Le désordre est aujourd’hui tel que c’est notre existence en tant que Nation qui est désormais menacée. Car les gens n’ont plus confiance en l’Etat et c’est chacun pour soi ou sa communauté. Tout est-il joué ? Non, car d’autres s’en sont sortis avant nous. Il est un point commun à ceux qui ont su extraire leur pays de la pente de la décadence, comme Reagan, Thatcher ou Schröder. Ils n’ont pas tourné autour du pot. Ils ont posé les vraies questions et en ont tiré des lignes claires. Critiqués, ils ont tenu. Et leurs pays jouissent encore aujourd’hui de leurs héritages. A nous de faire le même travail d’analyse, de tirer les vraies leçons de notre déclin et de ne pas nous satisfaire des petites solutions paresseuses habituelles, comme celles qui consistent à exiger un peu plus d’argent ou un peu moins de bureaucratie. La vraie leçon de la crise est que les Français ont démontré qu’on pouvait compter sur eux. Nous allons donc leur proposer un projet de nouvelle société dont ils seront les acteurs. Nous retisserons leur confiance en leur redonnant le pouvoir qu’ils n’auraient jamais dû perdre. Nous échapperons au piège de de l’idéologie en nous plongeant dans le concret. Nous refuserons la facilité en nous donnant les moyens d’agir. Nous réconcilierons action individuelle et collective en redonnant un sens à l’action de chaque citoyen. L’avenir en vaut la peine. Chacun peut retrouver la prospérité et l’espoir. Il ne tient qu’à nous de décider que ce moment est venu.

Philippe Juvin